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17/02/2014

Sebastian Barry : Du côté de Canaan

Sebastian BarrySebastian Barry né en 1955 à Dublin, est un écrivain irlandais. Il est l'auteur de pièces de théâtre, de romans et de poèmes, publiés depuis le début des années 1980. La consécration est venue en 2008 avec Le Testament caché. Le roman Du côté de Canaan est sorti en 2012.

Lilly Bere a quatre-vingt-neuf ans, à l’heure de sa fin proche, elle rédige ses mémoires ou plutôt sa confession. Début du XXe siècle, obligée de fuir son Irlande natale avec son fiancé Tadg Bere, condamné par l’IRA, Lilly arrive en Amérique où le jeune couple tente de se construire une vie à Chicago. Mais la menace armée va anéantir leur rêve et Lilly, désormais seule va s’enfuir vers Cleveland où elle trouve une place d’employée de maison. Quand Joe Kinderman, un inspecteur de police entre dans sa vie, la jeune femme espère prendre un nouveau départ.

Je n’en dis pas plus, le bouquin recèle de multiples évènements et Lilly aura une vie bien remplie comme vous le découvrirez vous-mêmes en lisant ce roman. Car vous allez le lire !

Je ne sais par quoi commencer pour chanter les louanges de ce livre. D’emblée ce qui m’a séduit, c’est le style de l’écriture, son élégance et ce ton calme et apaisé adopté pour la narration alors que cette femme va traverser le siècle, payant son tribut à chacune des guerres et elles ne manqueront pas, les deux premières guerres mondiales avec la mort de son frère, la guerre civile en Irlande, la guerre du Vietnam dont son fils reviendra cassé moralement, celle du Golfe qui verra son petit-fils s’en sortir « terrifié au point qu’il ne comprenait plus le sens du mot « victoire ». Et comme si cela n’était pas suffisant, ses hommes décéderont tragiquement ou disparaitront mystérieusement. 

Sebastian Barry a écrit une véritable saga, une fresque du XXe siècle entre Irlande et Amérique, peinte à petites touches faites de pudeur et de tact, à travers un récit sans pics d’intensité dans le dit – même si elle est plus que présente tout au long des pages. Cette vieille femme qui revient sur sa vie, ayant appris avec le temps à faire la part des choses, déroule son existence d’une voix uniforme et douce, imperméable en apparence à la haine et la rancœur. Une partie du roman relève quasiment du thriller, avec menace pesant comme une épée de Damoclès, suspicions troublantes puis disparition inquiétante. L’écrivain utilise aussi les révélations à postériori, entretenant un léger mystère ou créant de mini coups de théâtre. Il y a de tout dans ce bouquin – quand je pense à tout ce que je ne peux pas vous dire… - mais surtout de l’émotion, dans le sens noble du terme, pas du larmoyant ou du mièvre.   

Si l’écrivain fait très fort sur la forme, il est excellent sur le fond. Outre les points historiques déjà cités, il évoque aussi la situation des Noirs en Amérique et les conditions de vie dans cette Amérique, terre de Canaan pour les immigrés européens, mais là encore, par une écriture tout en ellipses et retenue ou quelques mots glissés incidemment dans une phrase. Et tout cela, mesdames et messieurs, en trois-cent-trente petites pages d’une édition de poche.

 

« J’écris sur tout cela, et tandis que je le fais assise ici dans mes habits américains, revêtue de ma personne américaine, tout cela depuis longtemps perdu, depuis longtemps terminé, tous ces gens balayés, à la manière habituelle du monde, ces hommes courbés, Maud, mon père, les fichus poules, poney et cochon, tout le fichu tremblement, d’une façon à laquelle nous n’ajoutons jamais foi tant que nous respirons comme de jeunes femmes, tandis que je suis assise ici, une vieille femme, une relique, une relique reconnaissante même, pour ce qui m’a été donné, sinon pour ce qui m’a été ôté, mon cœur flétri se souvient. »

 

Sebastian BarrySebastian Barry  Du côté de Canaan  Folio  – 331 pages -

Traduit de l’anglais (Irlande) par Florence Lévy-Paoloni